Actualité culturelle:
Lundi (21 février 2000)
BANDE DESSINÉE Dessinateur de Tif et Tondu et d'Isabelle

Il était beau et on l'aimait: le grand Will n'est plus

Il était rond comme son dessin, chauve comme Tif, barbu comme Tondu. Il était beau et on l'aimait. Avec reconnaissance pour toutes les années de plaisir et d'enchantement qu'il nous a données. Avec affection comme quelqu'un de proche, qui racontait de belles histoires, une peu inquiétantes, un peu fantastiques, toujours poétiques. Will est parti en ce pluvieux mois de février 2000 - lui qui aimait tant le soleil - et c'est un crève-coeur. Il s'est éteint vendredi soir, chez lui, à La Hulpe.
Will avait 72 ans. Quel âge incongru pour mourir alors qu'on est précieux à tant de gens! Que tant de gens ont humé le parfum de l'aventure avec Tif et Tondu, ont raffolé des monstres gentils qui peuplent l'univers d'Isabelle, de sa tante Ursule (qui ne voit jamais les surnaturels mais fait de si bonnes tartes), de son oncle magicien Hermès et de la toute séduisante sorcière Calendula.
Willy Maltaite naquit le 30 octobre 1927, à Anthée. Mais ce qui nous importe, à nous, c'est qu'après avoir suivi des cours de dessin publicitaire par correspondance, il entame son apprentissage de dessinateur de bande dessinée chez le divin Jijé où il rencontre Morris et Franquin. Ces trois-là vont vivre avec l'un des plus importants pères fondateurs de la bande dessinée belge, un père généreux qui partage, dans son grenier de Waterloo transformé en atelier. On les appellera plus tard la "bande des quatre", allusion d'abord aux frères Dalton, ensuite à certains dirigeants chinois dont la veuve de Mao.
Après avoir commis diverses illustrations dans "Bonnes soirées" et "Moustique", Will entre en 1947 au journal "Spirou". Deux ans plus tard, il reprend les aventures de Tif et Tondu créées en 1938 par Fernand Dineur dans le premier numéro du journal. Dineur reste aux commandes du scénario qu'il n'abandonne qu'en 1952. Will est alors aidé par Luc Bémar de 1952 à 1954, le temps, notamment, de confronter des personnages qui lui sont propres à présent au mystère du "Trésor d'Alaric". Puis vient Maurice Rosy qui se charge des récits de Tif et Tondu jusqu'en 1968. Rosy imagine ainsi le fabuleux personnage de Monsieur Choc, bandit redoutable, adversaire acharné des deux héros - boule de billard et boule de poils -, l'équivalent d'Olrik en version semi-humoristique, aussi fin et distingué que retors et sans pitié.

Photo Paul Joachim

QUI QUE TU SOIS ,
TIF ET TONDU SONT À MOI
 

Will, en dessinateur talentueux, se glisse avec une parfaite aisance dans les scénarios conçus par chacun de ses partenaires. Ses héros changent d'allure selon qu'ils sont traités par Dineur - "Tif et Tondu en Amérique centrale" ou encore "La villa Sans-Souci" -, par Rosy où leur opulente rondeur ne les empêche nullement de se démener et de résoudre les énigmes les plus tortueuses, par Tilleux ensuite où de ronds ils deviennent carrés, musclés, battants, bagarreurs et conduisent à leur terme des enquêtes qui les entraînent dans un polar plus angoissant. Desberg, à la mort de Tilleux, pousuivra dans une veine comparable, allant même jusqu'à politiser le scénario et dénoncer l'extrême droite française dans deux récits qui seront d'ailleurs les derniers opus de Will avec ces héros-là: "Les phalanges de Jeanne d'Arc" et "La tentation du bien".
Mais Will ne s'en est pas tenu qu'à ses deux personnages fétiches qu'il n'a pas créé mais auxquels il a apporté leur véritable personnalité, à l'instar de Franquin pour Spirou et Fantasio. Décorateur pour ce dernier dans les "Pirates du silence" (1955) et de courts récits du Marsupilami, il mène à bien deux histoires de Jacky et Célestin, de Peyo: "Des fleurs pour mon lüger" et "La ceinture noire" (1960). Décors encore pour les trois premiers récits de Benoît Brisefer du même Peyo. En 1962, il crée Eric et Artimon. Et surtout, essentiellement, fondamentalement, en 1970, avec la complicité d'Yvan Delporte, puis de Macherot et de Franquin, il entraîne une petite fille rousse, Isabelle, dotée d'un chignon à la mode de Bretagne et d'une tante Ursule, dans de fantastiques aventures où magiciens, sorcières et monstres divers envahissent les cases avec un entrain revigorant, prouvant par là même que les surnaturels sont de bien joyeux compagnons.

L'ULTIME OPUS,
LE PLUS FORT
 

Mais Will n'en a pas encore fini. Il va terminer sa carrière avec un chef-d'oeuvre. A la fin des années 80, avec Desberg, il produit deux récits exceptionnels, l'un empreint d'un délicieux érotisme, "Le jardin des délices", l'autre poignant, d'une force dramatique remarquable, d'autant plus efficace qu'il est servi par un dessin caricatural, "La 27e lettre", inscrit dans le contexte nauséabond de la montée du nazisme en Allemagne.
Amoureux des femmes, il en a été l'un des peintres les plus séduisants dans la bande dessinée (comme dans la peinture et l'illustration) et a témoigné de la magie de leur féminité sans jamais rien céder à la pornographie. Pourtant les deux plus belles femmes qu'il ait jamais dessinées, ce ne sont ni Calendula ni la comtesse Amélie d'Yeux (dite Kiki) mais la spitante Isabelle et sa bonne grosse tante Ursule.
Alors, tous en choeur, en l'honneur du grand Will qui vaut bien l'autre, celui de Stratford upon Avon, entonnons la chanson d'Isabelle:
Dans la maison de l'oncle Hermès, il y a tout des monstres cachés sous la table. Il y en a des verts, des blancs, des roux, il y en a qui ont des poils tout partout. Mais la tante Ursule ne les voit pas, elle ne prend pas garde à ces choses-là. Et moi je n'en ai pas peur car c'est joli, ces monstres en couleurs.

ROBERT ROUYET dans Le Soir