Profil Will

Will, on le connaît surtout comme le dessinateur de Tif et Tondu, le créateur de l'insaisissable Monsieur Choc, d'Isabelle, de la belle Calendula…Sous ce pseudonyme, destiné un temps à protéger sa véritable identité, se cache Willy Maltaite. A 70 ans, celui-ci avoue n'avoir eu qu'une passion dans sa vie, le dessin, et un seul métier, la bande dessinée, à laquelle il s'est adonné à peu près tous les jours pendant 50 ans. L'artiste est passionné, l'homme est souriant, chaleureux. Modeste aussi. Quand on le compare à ses amis Morris ou Franquin, précurseurs comme lui de la BD, il s'écrie : "Les gens disent n'importe quoi !"

Le dessin, vous êtes tombé dedans quand vous étiez petit ?

Je crois que tous ceux qui dessinent ont commencé à le faire quand ils étaient petits, dans les marges de leurs cahiers d'école. De temps en temps, il y en a un comme moi qui prends ça vraiment à cœur et qui en fait son métier. Ce n'est pas une question de don, mais de volonté d'y arriver.

La bande dessinée c'était votre rêve ?

Pas vraiment, non. Je me destinais plutôt à la publicité. Il faut dire qu'à l'époque, la bande dessinée, on ne savait pas très bien ce que c'était. On la considérait presque comme un art débile, qui n'avait rien à voir avec la lecture. Beaucoup de parents interdisaient d'ailleurs à leurs enfants d'en lire! C'est en allant chez Jijé (Joseph Gillain, à l'époque principal dessinateur du Journal de Spirou et précurseur avec Hergé de la BD) qui m'a formé, que j'ai vu une planche pour la première fois.

J'avais 15 ans. C'est lui qui m'a incité quelques années plus tard à réaliser ma première bande dessinée. Elle s'appelait "Le mystère de Bambochal" et comme Dupuis n'en a pas voulu, je l'ai édité à compte d'auteur.

C'est vers cette époque que vous avez repris les personnages Tif et Tondu...

Oui, on était en 1949. C'est Dupuis qui m'a demande de poursuivre la série. J'y ai été fidèle jusqu'en 1991. Au fil du temps, les scénaristes se sont succédés, Rosy, Tillieux, Desberg, de nouveaux personnages ont été introduits, comme Monsieur Choc, Kiki... Entre-temps, j'ai créé en 1968 le personnage d'Isabelle. Au départ, elle ne devait apparaître que dans un numéro spécial du Journal de Spirou, et puis l'idée a donné naissance à une série. 12 albums sont sortis jusqu' en 1994.

Certains dessinateurs de BD vous ont-ils influencés ?

Oui, c'est inévitable. Gillain m'a influencé, de même qu' Hergé qui m'a orienté vers plus de clarté dans le dessin, Franquin... On apprend des autres. Le tout, c'est de parvenir à se dégager de ces influences. Ca ne se fait pas du jour au lendemain, mais petit à petit, on acquiert son propre style.

Pensez-vous être arrivé à une certaine maturité dans votre art ?

Non, absolument pas. Je me sens toujours comme un petit jeune dans le métier ! Je ne suis jamais content de ce que je fais. Je suis très autocritique, ce qui est tout de même déprimant, car je n'arrive jamais à ce que je veux. Quand je revois mes dessins par après, parfois je suis content de moi, mais parfois, je donnerais cher pour pouvoir les recommencer. Et si vous voyiez mes premiers dessins... c'est à pleurer !

Comment s'élabore une bande dessinée ?

Ca dépend. Pour la série Isabelle, on se réunissait à trois pour inventer le scénario, pour discuter de la façon dont on voyait les dessins. C'est la manière idéale de travailler. La plupart du temps, cependant, le scénariste me propose une idée. Si elle me plaît, il écrit le scénario et décrit le contenu de chaque case. C'est là que mon boulot commence. Les descriptions étant en général assez vagues, j'ai la liberté d'imaginer la pièce, ou le paysage évoqué. Il arrive que je doive me baser sur des documents lorsque le héros se trouve dans un environnement bien précis. Mais je préfère de loin inventer des lieux, des architectures ou même des meubles…

J'essaie d'avoir beaucoup de création dans mes dessins.

Quelles sont les qualités requises pour être un bon dessinateur de BD ?

Le sens du dessin, bien sûr, et celui de la mise en scène, du mouvement. Il faut de la passion aussi... Moi-même, malgré ma passion pour la BD, j'ai déjà éprouvé des ras-le-bol profonds. C'est un métier qui demande énormément d'énergie.

Pourquoi ?

Parce que c'est un travail laborieux ! Chaque case est différente, et dieu sait combien de milliers de cases j'ai pu dessiner ! Dans chacune, des problèmes techniques différents apparaissent. On ne peut pas travailler à la chaîne, même si - heureusement ! - avec le temps, certaines représentations s'automatisent. Par exemple, un personnage qui court, après la dix millième fois, on le dessine presque les yeux fermés !

Dans quel contexte vous sentez-vous le mieux pour dessiner ?

Oh, je suis capable de dessiner n'importe où, pourvu que j'ai un bout de table. Qu'il y ait du bruit ou du silence, ça m'est égal. Il m'arrive de mettre la radio et de ne plus l'entendre tant je suis concentré. J'ai toujours travaillé de façon disciplinée et régulière, en raison notamment des délais qu'il fallait respecter. J'aime également travailler en vacances, à l'étranger. Là, mon rendement est optimal : en une matinée, j'ai le même résultat qu'en une journée à la maison.

Votre famille vous a-t-elle soutenu dans votre passion ?

Mes parents m'ont toujours soutenu, oui, peut-être parce que ma mère était un peu artiste elle aussi. Ma femme, elle, a toujours été ravie du métier que je faisais, car il y avait de cette façon toujours quelqu'un à la maison. Mes enfants, par contre, n'ont jamais trouvé mon métier extraordinaire. Pour eux, j'étais un père comme les autres. L'un de mes fils a tout de même suivi mes traces, tandis qu'un autre a ouvert un magasin de BD. Ce qui m'étonne à présent, c'est de voir combien mes petits-enfants sont fiers d'avoir un grand-père dessinateur de bandes dessinées !

Que pensez-vous de la génération actuelle des dessinateurs de BD ?

A mon époque, nous n'étions qu'une douzaine dans ce domaine. Aujourd'hui, ils sont tellement nombreux qu'ils doivent se battre pour se hisser au sommet. Ils doivent d'emblée arriver avec un dessin très bon, d'autant plus que les gens sont devenus exigeants. D'un autre côté, ils viennent après Hergé et Jijé qui ont inventé le métier et ses règles : ils n'ont plus qu'à se servir. Je trouve qu'il y a de bonnes choses qui se font, même si je ne suis pas très branché sur la toute nouvelle génération. Certains me semblent cependant un peu trop intellectuels ; ils oublient sans doute que la BD est avant tout un art populaire destiné à amuser les gens.

Vous avez mis un peu de côté la BD au profit de la peinture. Pourquoi ?

Je n'avais plus le courage, ni l'envie, d'attaquer une nouvelle série. Je fais encore des BD au coup par coup, mais comme je veux me donner à fond dans la peinture maintenant, je n'ai plus beaucoup de temps. La peinture est un art totalement différent de la BD, c'est comme un nouveau métier. Je m'y sens plus libre, car il y a moins de règles, moins de répétitions. Je garde tout de même certains réflexes dans le graphisme et le choix des couleurs de mes peintures.

Vous êtes un senior très actif. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération montante de 50+ ?

Ce sont des gens bien, puisque j'en fais partie ! Je me dis souvent que les conceptions ont bien évolué. Quand j'étais gamin, les gens de 50 ans étaient considérés comme des vieux. Aujourd'hui, je trouve qu'une femme ou qu'un homme de 50 ans est jeune et qu'il ou elle a encore des tas de choses à faire. Mais attention, la retraite peut se révéler catastrophique. Moi, j'ai la chance d'avoir un métier passionnant que j'ai pu continuer. Mais pour ceux qui ont basé toute leur vie sur leur boulot, l'inactivité peut être difficile à vivre. Une retraite, ça se prépare...

 


Will, côté Nouvel âge

Quelles sont vos activités culturelles favorites ?

A part le dessin, je ne fais pas grand-chose. J'allais parfois au cinéma, mais à présent, je me contente de la télévision.

Quels sont vos livres de chevet ? Les bandes dessinées de Will ?

Ah non, pas du tout. Je n'ai jamais relu un album, même après parution. Je commence, j'arrive à la moitié, et puis, je n'en peux plus. En général, je lis très peu.

Qu'écoutez-vous côté musique ?

J'écoute la musique que ma femme écoute. Sinon, moi, j'aime bien les "vieux", comme Brassens, Trenet...

La voiture idéale, vous la voyez plutôt confortable ou sportive ?

J'ai tendance à préférer les voitures sportives. Si j'avais les moyens, je me verrais bien acheter une Ferrari, ou alors une Jaguar. Mais pour la prochaine, je choisirai peut-être une confortable...

Quel genre de cuisine appréciez-vous ?

J'adore la cuisine rustique, campagnarde, les plats régionaux avec du lard, des gros haricots, la choucroute, le cassoulet. Mais à côté de cela, j'apprécie la cuisine asiatique et la fine cuisine.

Quelles sont vos destinations touristiques favorites ?

Dans le sud, au soleil ! Surtout en France, qui est un pays extraordinaire, ou en Espagne, Quand je pars en vacances, c'est rarement dans un hôtel. Je préfère louer pendant un mois, voire plus, un appartement ou une maison. Comme ça, je peux m'y sentir comme chez moi, et donc travailler !

Etes-vous sportif ?

Non, je ne l'ai jamais été. Dès le départ, c'était dû aux circonstances car, dans le petit village où j'ai grandi, il n'y avait pas suffisamment d'habitants pour que l'on organise quelque chose, ne fut-ce qu' une équipe de foot. J'ai pratiqué un peu de natation.

Les animaux vous passionnent-ils ?

J'aime bien les chats. J'apprécie également les oiseaux que j'observe très fréquemment.

Pour terminer, avez-vous des adresses de prédilection en Belgique ?

Côté restaurants, je dirais "Le dernier Tri" à Ohain. A La Hulpe, le Gris Moulin et "Diogène", un resto grec où l'on mange dans le jardin. J'aime beaucoup la ville de Liège aussi. Quoi d'autre ? Ah oui, mon jardin !

Christelle Gilquin dans Le Nouvel Age de septembre 1998