Je dessinotais un peu comme tous les jeunes. Ma mère, évidemment, trouvait que ce que je faisais, c'était très bien. Elle m'a conseillé d'entrer à l'école d'art de Maredsous (j'habitais un petit patelin pas loin de là). Mais je me suis fait recaler aux examens d'entrée. Alors elle m'a conduit à la ville, à Dinant, où il y avait des cours de dessin. J'avais quelques croquis, quelques dessins publicitaires assez moches. Le prof a dit: "Je ne peux rien faire pour votre fils, Madame, mais je connais quelqu'un, un professionnel, il dessine dans Spirou, allez donc le voir de ma part..."

Voila comment je me suis retrouvé chez Gillain avec mon père. Joseph a regardé mes dessins, il a dit: " Difficile de voir s'il a un avenir ou non. Ecoutez, Monsieur, je prends votre fils pendant quinze jours à l'essai. Si ça marche, je le garde, et sinon je vous le renvoie."

Il m'a gardé. Tous les jours, je faisais dans les deux sens la route entre mon village et la maison de Joseph, à Dinant. Pendant mon séjour chez lui, j'ai fait des tas de trucs, mais pas de bande dessinée.

Puis, un beau jour, Gillain m'a dit: « Je vais m'installer à Waterloo. Si tu veux, viens travailler là-bas... «

J'ai vécu chez les Gillain pendant un temps. Franquin et Morris sont venus à peu près au même moment. Eux, ils faisaient des bandes (on ne disait pas encore BD à l'époque), et moi, je m'essayais au cartoon, à l'illustration, je bricolais, quoi. Quand Gillain, Franquin et Morris sont partis en Amérique, je me suis lancé tout de même dans la bande dessinée. J'ai travaillé, oh! quoi, trois mois au maximum dans un atelier à Bruxelles où il y avait Hubinon, Charlier, Weinberg, qui bossaient pour un agent de presse, celui qui fournissait Buck Danny à Spirou.

Mais il fallait que je gagne ma croûte. Puisque la bande dessinée était à l'époque la seule chose que je sache un peu faire, c'est là que je me suis lancé. Avant son depart, Joseph avait dit à un type qui venait chez lui de temps en temps, un certain Haché, que ce qu'il me faudrait, ce serait un bon scénario. Et voila comment je me suis mis à dessiner l'histoire du Bambochal.

Une fois les planches terminées, je suis allé les proposer aux Editions Dupuis, qui n'en ont absolument pas voulu. J'étais bien embêté.

Le journal Tintin venait d'être lancé. Je suis allé trouver Hergé, qui semblait assez d'accord pour publier ça, mais il y a eu un problème: un projet de loi existait à ce temps-là en France, qui aurait obligé les journaux à publier 75 % de matériel d'origine française.

Bref, je me retrouvais avec ce Bambochal sur les bras. J'avais un cousin imprimeur à Florennes. Vous voyez le genre, celui qui imprime les affiches pour la fête du village et les ventes par notaire. On a décidé de fonder une petite société, les Editions du Ménestrel, et on a imprimé 15,000 exemplaires du bouquin, sur une petite presse plate. Le soir, avec sa femme et ses moutards, il pliait les feuilles pour en faire des albums.

On ne savait vraiment pas comment s'y prendre pour vendre ça. On a mis des annonces dans les journaux, et bien sûr ça n'a servi à rien. Puis on a trouvé une grosse boîte de distribution et on est parvenus à vendre les 15.000 exemplaires. Ca ne me rapportait pas la fortune, mais j'en ai tout de même tiré quelques sous.

Récemment, un collectionneur suisse m'a dit qu'il en avait trouvé un vieil exemplaire. Il l'avait payé 8.000 francs.

Et puis les Editions Dupuis m'ont proposé de reprendre les personnages de Dineur, Tif et Tondu. Cette fois, je passais professionnel.

Will.

La bouleversante confession de Will dans La Bande à 4 en 1981