Franquin, baroud d'honneur: « On s'amusait » dit Will

Rencontre exceptionnelle. Empreinte d'émotion, de pudeur et d'admiration pour son ami André. Will était des débuts. Des tout débuts.

L'ambiance n'est pas à la tristesse. A se rappeler André, Willy Maltaite sourit, rigole et pouffe; on n'évoque pas cinquante ans d'amitié et de rigolade avec tristesse. Will, l'ancien dessinateur de « Tif et Tondu » et le papa d'Isabelle, était un gamin en 1946, lorsqu'il habitait chez Joseph Gillain, alias Jijé, et que deux autres gamins sont venus s'installer. Il y avait Morris et Franquin. Le quatuor magique était réuni: la «bande de Waterloo» pouvait donner naissance à la bande dessinée belge telle qu'on l'adule aujourd'hui, à travers cette école de Marcinelle, là où se trouvait les imprimeries Dupuis.

– J'avais fait une tentative pour entrer dans une école d'art à l'abbaye de Maredsous, mais je me suis fait recaler, explique le monstre sacré, sans comprendre la moue d'étonnement qu'a fait naître sa remarque. On m'a présenté à Jijé qui habitait Bethléem, au-dessus de Dinant; c'est marrant. Après, il s'est installé à Waterloo, et il est venu me chercher. Franquin et Morris se sont greffés là-dessus. Joseph a dit: Tant qu'à faire... Et on a logé là.

En 1946, la B.D., c'était pour les fous, les marginaux. Si la Belgique est devenue ce qu'elle est, à savoir un berceau incroyablement fertile d'auteurs et de dessinateurs, c'est à ce quatuor-là qu'elle le doit. Mais Will s'en fout. C'était juste rigolo.

– C'était fabuleux. quand j'ai vu ce qu'ils faisaient, Morris et lui, j'étais soufflé. On travaillait chacun dans notre coin, mais on se critiquait, on se donnait des conseils, et c'était les grosses rigolades. En plus, Gillain était le grand maestro. Il nous a tous beaucoup aidés, beaucoup appris. Franquin était hyperhonnête au niveau professionnel. Il ne lâchait jamais le moindre dessin sans qu'il ne soit parfait. C'était abominable! Je le voyais dessiner une voiture, superbe, puis il gommait cette bagnole, il la recommençait, jusqu'au moment où, pour lui, c'était parfait. Il était déjà très exigeant, tout le contraire de moi.

Il n'est pas étonnant que ces quatre gaillards se soient amusés si longtemps. Ses anecdotes, Will les raconte en citant quelques noms, quand il y avait autour d'une table, d'un verre et pendant des heures les Roba, Macherot, Jidéhem et autres monstres. Et ils se ressemblent tellement: même regard critique sur ce qu'ils ont créé, même gêne de se raconter.

– Après un an ou deux, les trois autres sont partis aux Etats-Unis. Mais Franquin, en revenant un an plus tard – Morris est resté sept ans –, est venu prendre un pot et il s'est installé dans ma pension de famille. Sa chambre était très petite, alors il travaillait dans la mienne, qui n'était pas très grande non plus. Puis il s'est marié, et il m'a dit... de venir travailler chez lui. On s'amusait bien ensemble.

Franquin est très très exigeant. Nous, on s'entendait bien à ce niveau-là. Chaque fois que j'ai collaboré avec André, que ce soit pour "Les Pirates du silence" ou avec Isabelle, il ne m'a jamais embêté.

Pour "Les Pirates", on habitait ensemble, je ne sais plus si c'est chez lui ou chez moi. Il m'avait demandé de réaliser les décors, c'était un truc qui m'amusait.

Will réalisera encore les décors d'une aventure du Marsupilami, participera au projet d'un dessin animé; avant de demander à Franquin et Delporte de lui écrire des scénarios.

– C'était une époque fabuleuse. Même en dehors du travail, on se réunissait, on faisait des soirées, on se bourrait, on faisait les idiots. Tous des amis du boulot. Morris, Roba, Macherot, Franquin,... C'était très gai.

Alors leur secret, c'était ça: ils s'amusaient. Qu'ils aient influencé toute une génération, qu'on les ait baptisés « La bande des quatre », que les amateurs de bande dessinée les considèrent comme des précurseurs, des pionniers, ils s'en foutent. Ils s'amusaient. Will raconte encore. Comment, pour lui montrer la manière de bien dessiner un oiseau, Franquin lui a dessiné, de mémoire... le squelette complet de l'oiseau. Comment, devant un décor de Roba réalisé pour « Tembo Tabou », Franquin a dit «Oh! à ta place », a gommé un truc, puis un autre, et a finalement redessiné l'entièreté du décor. Il raconte... mais se demande quand même si cela intéresse quelqu'un!

dans Le Soir du samedi 11 et dimanche 12 janvier 1997 par Olivier Van Vaerenbergh